En collaboration avec Marc Dugardin
Auteur de Adieu
La sourde oreille et autres menus trésors
On ne demande pas au saladierDe raconter des saladesNi à l’armoire à épicesDe passer muscadeEncore moins au sel de casserDu sucre sur le dos du cabillaud « Créadivaguer », tel est le mouvement qui semble avoir présidé à l’écriture de La sourde oreille et autres menus trésors de Béatrice Libert , publié aux Éditions Henry. La poétesse, qui n’en est pas à son premier ouvrage de poésie ni à sa première collaboration avec un artiste, s’associe ici avec l’artiste Pierre Laroche pour livrer ce petit bijou de poésie pour la jeunesse. Poèmes et collages tissent entre eux une relation de douceur et de légèreté. Les tons des poèmes sont variés, explorent divers affects, empruntent tantôt à la musicalité d’une comptine, tantôt à la prosodie particulière de la poésie « en soi ». Allitérations, rimes, jeux de mots : tout concourt, dans le recueil, à détourner des expressions courantes et imagées telles que « faire des vagues », « prendre la mouche », « à quatre épingles », « sans crier gare ». Celles-ci deviennent littérales et ouvrent sur un imaginaire amusant. La maison a des regretsDe coquillages et de goélandsUn tilleul lui tisane des contesLorsque tombe le soirToujours à l’improviste Il suffit alors à la luneDe tourner sept fois la clefDans la serrure de l’imaginairePour que prenne langueSur les pages des toitsUn alphabet d’étoiles Si les thèmes des poèmes sont également variés, chaque texte sème « des graines / dans le jardin-poème / de l’île du langage » : c’est cette relation avec le langage qui est mise en lumière et qui fait l’intelligence de ce recueil, en montrant combien les sons et les mots sont toujours chose étonnante et matière à réfléchir comme à jouer. Il faut battre le versPendant qu’il est chaud Pour qu’il batte son pleinDe rimes et de quatrains […] Mais jamais c’est certainNe faut battre en retraite Si l’on veut être poète La poésie pour la jeunesse souffre encore, hélas, de nombreux préjugés ; ce recueil est l’une des belles productions du genre qui permettra peut-être de les dépasser. La sourde oreille et autres menus trésors est un joli livre, qui enchantera les plus jeunes et réjouira les adultes. Une fois dans les mains de nos enfants et petits-enfants, il y aura fort à parier que cet ouvrage…
Dans un ouvrage de format carré pour accueillir l’impression très soignée des œuvres en portraits, paysages, cercles et carrés de Charles Delhaes , Rose-Marie François en enregistre L’écho du regard , sous la forme de poèmes attentifs et sensibles, exposés vison-visu, à savoir un poème par œuvre et double page. Chaque toile du peintre lui a inspiré quelques vers agissant comme le départ et la destination, l’aller et le retour : de multiples va-et-vient, de joyeuses connivences et collaborations nous dit l’introduction du livre et qui font autant de ponts invisibles entre l’image et le texte, entre le texte et l’image, entre les deux auteurs. La peinture de Charles Delhaes gagne beaucoup à être reproduite ici en noirs délicats et blancs profonds sur papier ivoire car l’harmonie des formes géométriques structurantes et celles abstraites qui les épousent, s’en trouve augmentée. En effet, elle est allégée par l’absence des couleurs vives voire violentes qui habillent et habitent les œuvres originales. Celles-ci s’offrent ainsi une deuxième vie picturale et aussi une troisième littéraire, grâce aux textes qui vécurent d’abord en récital autour des toiles, puis en ce livre qui donne corps à ces précieux instants .Problématique donc d’un hiatus annoncé : Pour marquer l’année de ses cinquante ans de peinture, Charles Delhaes s’est proposé le défi d’abandonner la couleur pour déposer, sur les toiles, ses lumières en noir et blanc . Donc d’un hiatus pictural assumé dès le premier poème, Défi : Ici, le roi de la couleur / renonce à la couleur / et se métamorphose. / De but en blanc / son œuvre au noir / trace l’espoir / d’un nôtre temps. Et donc d’un hiatus poétique résolu dès le deuxième poème, Panache : La lumière jaillit / borde la mer comme / au soir un enfant / savoure le sommeil / puis bondit au réveil .Exposition au final d’un Défi relevé avec Panache qui, remporté, libère complètement de cette question chromatique, dont on comprend qu’elle a été un préalable à la présente aventure éditoriale. Dégagée de cette difficulté, Rose-Marie François peut alors montrer toute la finesse de son regard sur les œuvres commentées par ses vers. Le troisième poème, Espoir de lumière , enflamme le soleil crépusculaire de Charles Delhaes : on s’avance / vers la rondeur / maternelle / du tout grand jour . Voyez la toile et sentez comme ces mots l’ont comprise.Aucune faute de goût dès lors pour les trente tête-à-tête suivants, vivant dans l’énergie de textes limpides et généreux qui conduisent notre propre regard, sûrement orphelin sans cette justesse et douce inventivité : Mais vois comme / elle vibre, / cette immobilité ! À tel point qu’au trait fixé sur la toile, le mot rend la vie peut-être perdue avec la couleur. Alors l’unisson se déploie sans interférence, par frottements, par caresses, par fusions entre l’image et le texte, le texte et l’image, dont La brisure / multiplie la pensée / déplie le temps / en années-lumière, / poussières / d’étoiles / diamantaires…