Auteur de Habiter en oiseau
Née à Anderlecht, Vinciane Despret a grandi et vécu à Liège. Elle y habite toujours, dans l’un des endroits les plus typiques de la ville, en son cœur historique. D’abord étudiante en philosophie –«ce qui m’a mené droit au chômage», sourit-elle – elle a vite repris des études de psychologie. Elle croise rapidement l’éthologie, l’étude du comportement des animaux, et se passionne pour les humains qui travaillent avec eux. Hasard étonnant de son parcours : c’est lorsqu’elle est munie de son diplôme de psychologue que la faculté de… philosophie de l’ULg l’embauche. Sa seule vraie question, à ce moment, sera de savoir comment elle pourra concilier les deux disciplines, ses deux motifs d’enthousiasme.
Comment déterritorialiser les pratiques scientifiques, sortir de l’attention exclusive à l’universel pour s’ouvrir aux récits des individualités animales ? Comment tenter de penser en oiseau et non sur eux ? Dans Habiter en oiseau, Vinciane Despret, auteur d’une œuvre décisive qui décloture les savoirs et secoue leur anthropocentrisme (Quand le loup habitera avec l’agneau, Être bête, Penser comme un rat, Au bonheur des morts….) nous livre un voyage éthologique au pays des oiseaux. Au nombre des réquisits de sa démarche : une exploration de modes d’attention négligés par les scientifiques, un éloge de la lenteur, du « ralentir », un déplacement des questions que l’on pose aux animaux observés. Écouter les chants du merle, comprendre…
Nietzsche et la phénoménologie. Entre textes, réceptions et interprétations
La pensée de Nietzsche est-elle la littérature irrationnelle d’un illuminé du 19e siècle ? Puisque cette grossièreté n’est pas tenable, même pour un rationaliste résistant, de quelle pensée s’agit-il ?Si, comme je le crois, l’activité philosophique aujourd’hui reste marquée par les avancées de la phénoménologie de Husserl (en dépit de son idéalisme subjectiviste), de l’ontologie de Heidegger (en dépit de ses dérives nationalistes, de la défense aberrante d’un «esprit» du nazisme à l’antisémitisme) et de la thérapeutique du langage de Wittgenstein (en dépit de son enlisement casuisitique par une trop grande part de la philosophie analytique), l’exigence de penser le monde dans un langage non « métaphysique »est en même temps son enjeu. La philosophie naît et renaît à travers le questionnement radical hors de toute opinion, de tout préjugé, de toute idéologie, à la racine hors de toute métaphysique accrochée à la vérité hors monde. Or ce questionnement, dans sa phase moderne, remonte à l’effort inouï de Nietzsche de penser par-delà bien et mal – par-delà l’opposition entre l’essence et l’apparence, la vérité et l’erreur… L’ Introduction au recueil des Actes du colloque tenu les 16 et 17 mars 2016 à Louvain situe parfaitement cette exigence et cet enjeu. La pensée nietzschéenne du « Schein », littéralement « apparence » ou même « apparaître », peut-elle être rapprochée de celle du « phénomène »? Pas au sens de Kant qui l’oppose à la « chose en soi », ce qui l’englue dans le dualisme. Mais pas non plus au sens de Husserl qui le fonde dans l’ « intuition donatrice originaire ». Cependant si, la « généalogie » nietzschéenne qui arrache les masques des « valeurs » reste sans rapport avec cette « science du phénomène » qui est le projet de Husserl, n’y a-t-il aucun recroisement entre le monde de la vie de l’un et le monde des apparences de l’autre ? Ou encore entre la constitution fictionnelle du phénomène et la perspective interprétative de l’apparence ? La question radicale surgit à partir de là : quel langage introduit à la pensée du monde, au jeu de son devenir, à la « mutation de la temporalisation » comme l’épingle Fink ?Il n’est pas possible ici d’entrer plus avant dans les interventions de ce recueil incisif. Il faut cependant remarquer que, outre les travaux de spécialistes actuels, il reproduit deux textes importants pour l’histoire des interprétations nietzschéennes, l’un d’Eugen Fink, l’autre de Rudolf Boehm, ce qui répond au but de la publication : confronter les interprétations phénoménologiques de Nietzsche à son texte.La stimulation de toutes ces lectures confirme combien la pensée de Nietzsche nous précède toujours, à distance des thèmes canoniques (surhomme, éternel…