Lettres à un jeune poète

RÉSUMÉ

Publiées et commentées par Léon Kochnitzky
À propos du livre (Texte de l’Introduction)

Une correspondance littéraire, chose rare en notre siècle, implique, de la part de ceux qui l’entretiennent, des loisirs, un certain détachement des contingences, le goût du dialogue et l’impossibilité de le satisfaire. Pour mieux s’inscrire dans son cadre, il importe qu’elle soit son…

DOCUMENT(S) ASSOCIÉ(S)
Lire un extrait

Or, le jeune poète, ayant pu gagner la Hollande, y avait fait imprimer un recueil de ses poèmes. Ayant su que Fernand Seéverin était, lui aussi, réfugié à Utrecht, il lui envoya un exemplaire de l'ouvrage, agréablement présenté par un excellent imprimeur de Leyde. Quelques jours plus tard, il reçut la réponse suivante :

Adressée à Utrecht.

24 Décembre 1914.

Cher Monsieur,

C'est avec une agréable surprise que j'ai reçu votre livre. Je pensais bien qu'il devait se trouver des poètes parmi les réfugiés belges aux Pays-Bas. Notre mouvement littéraire est si intense! Mais je ne m'attendais pas à ce que l'un d'eux publiât un volume de ses œuvres dans ce pays. Vous vous excusez de ce que vos vers ne contiennent aucune allusion aux événements actuels. Votre cas est à peu près celui de Goethe écrivant son «West-Ôstlicher Diwan» au plus fort des guerres napoléoniennes. Ce qui peut vous arriver de pire, c'est que votre livre, publié dans les circonstances présentes, passe tout à fait inaperçu. Ce serait pourtant dommage. L'Adorable Cortège, que je viens de lire, est l'oeuvre d'un poète de talent. Vous avez une charmante imagination, servie, autant que j'en puis juger, par une culture classique et es-thétique très poussée, et par de beaux souvenirs de voyage. En outre l'allure de vos poèmes est légère, gracieuse, spirituelle. Vous avez l'air de vous jouer en les écrivant. J'admire votre facilité dont vous me paraissez cependant abuser un peu. Ça et là, la phrase est un peu molle, je voudrais plus de nerf. Ailleurs il y a quelque négligence, et vous semblez vous contenter d'un à-peu-près.

L'ensemble n'en est pas moins fort remarquable, comme don, comme tempérament poétique, et témoigne d'une culture qui manquait, il y a vingt ans, à la plupart de nous. Le poète, chez vous, n'est pas «un ignorant qui ne sait que lui-même».

J'ai relu avec un vif plaisir maint de vos beaux sonnets, notamment un sur le fils de Faust et d'Hélène, un autre sur Florence (Mirage) et j'ai vivement goûté l'Heure Syracusaine, si suggestive et si originale, malgré quelques négligences. Au reste, il y a un peu partout, dans votre livre, des choses charmantes, et je compte bien le feuilleter encore.

Ne me ferez-vous pas le plaisir de venir me prendre, un de ces jours, pour un tour de promenade? La maison de mon beau-frère étant pleine de réfugiés, nous n'y trouverions pas un coin libre pour causer, mais nous pourrions toujours aller prendre l'air. Je suis libre tous les jours à 9 h du matin et à 3 h de l'après-midi, et serai charmé, mon cher poète, de faire votre connaissance.

Mon collègue et ami Alph. Roersch est, selon toutes probabilités, resté à Gand, où la vie, en ce moment n'est pas rose. Son adresse est 16, place du Casino, et vous pourriez lui écrire par l'intermédiaire de M. Kuyck, consul des Pays-Bas à Gand, par Sas-van-Gent.

Je vous renouvelle mes remerciements, et mes félicitations, cher Monsieur, et vous prie de croire à mes sentiments de confraternité littéraire.

F. Séverin

À PROPOS DE L'AUTEUR
Fernand Severin

Auteur de Lettres à un jeune poète

  • Fernand Severin naît dans une ferme à Grand-Manil, près de Gembloux, le 4 février 1867. Toute sa vie, il conservera un grand attachement pour la campagne, pour la nature, sans doute parce que, timide et un peu replié sur lui-même, il trouvera en elle le refuge idéal.
  • Il poursuit ses études à l'Université Libre de Bruxelles. Celles-ci terminées, il est nommé professeur de 4e au collège communal de Virton (où il restera douze ans), la désignation vers les lointaines provinces étant souvent le fait des jeunes maîtres. Se sentant d'abord un peu exilé, il finira par apprécier le cadre de la campagne virton, d'autant plus que son ami Charles Van Lerberghe s'est installé, lui, à Bouillon, et qu'ils peuvent se voir régulièrement. De cette période, Severin dira : L'essentiel pour moi était que j'eusse quelques loisirs pour faire des vers, et j'en avais assez, à ce qu'il me semblait... C'est le temps où j'étais jeune et où j'ai fait mes meilleurs vers. Oh! les délicieuses journées que j'ai passées dans les forêts de Virton!...
  • Nommé professeur à l'Athénée de Louvain en 1896, il se retrouve quelques années plus tard professeur de 5e à l'Athénée de Bruxelles, puis, en 1907, professeur à l'Université de Gand, ce qui, à l'époque, agaça quelques philologues qui doutaient qu'un poète fût à la hauteur de sa tâche.
  • Depuis longtemps, son activité poétique l'avait amené à publier plusieurs plaquettes et recueils. Ce fut d'abord, en 1888, Le lys, vers de jeunesse qu'il répudiera par la suite. C'est dans sa solitude gaumaise qu'il écrit La source au fond des bois qui ne parut qu'en 1924 et qui a inspiré à Ernest Bernardy une mosaïque apposée sur un bâtiment de l'Athénée. Ce recueil fut suivi du Don d'enfance (1891), d'Un chant dans l'ombre (1895) et de La solitude heureuse (1904).
  • Parallèlement à sa poésie, Severin consacre une partie de son temps à la critique. Il fut un critique sévère, redouté, assez peu favorable aux innovations de son temps. Cette attitude lui valut de voir son œuvre propre souvent ignorée, d'autant qu'il se tenait à l'écart des cénacles bruxellois.
  • Il en souffrit et en vint à douter de son art, au point, sa santé posant quelques problèmes, de renoncer à écrire. Avec l'âge, sa mélancolie s'était accentuée; il avait le goût de la solitude et un grand besoin de silence. Sa sensibilité le portait vers l'écoute du moi : Tu ne te trouveras nulle part, sauf en toi, écrit-il dans Art poétique (in La solitude heureuse).
  • En 1930, un an avant sa mort, il publia en un volume un choix de ce qu'il considérait comme le meilleur de son œuvre (réédition en 1952).
  • Fernand Severin fut désigné en 1920 pour faire partie de l'Académie de Langue et de Littérature françaises de Belgique lors de la fondation de celle-ci. Les honneurs qu'il reçut ne dissipèrent pas le regret de ne pas être apprécié par ses pairs comme il pensait devoir l'être.
  • (D'après Henri LIEBRECHT, in G. CHARLIER et J. HANSE,
  • Histoire illustrée des lettres françaises de Belgique, Renaissance du Livre, 1958).

  • AVIS D'UTILISATEURS

    FIRST:lettre jeune poète poète - "Lettres à un jeune poète"
    stdClass Object ( [audiences] => [domains] => Array ( [0] => 9504 ) )

    Ceci pourrait également vous intéresser...

    Correspondance avec Rose Capel (1938-1947)

    Louis Scutenaire écrivait de « Monsieur Paul »…

    Correspondance 1890-1937

    Textes établis et annotés par Victor Martin-Schmets Introduction de Henry de Paysac…

    Lettres à Fernand Severin

    Textes établis, présentés et annotés…