Maeterlinck, l'arpenteur de l'invisible

RÉSUMÉ

À propos du livre

Il est temps de corriger l’image en demi-teintes, assez falote, que l’histoire littéraire a véhiculée trop longtemps du dramaturge belge. Sous l’habit du bourgeois conservateur se cache l’iconoclaste qui fait voler en éclats le système de valeurs traditionnelles, sur lequel s’était fondée la grandeur de la dramaturgie issue de l’humanisme classique. À sa manière,…

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«C'est dans le Märchen que je crois pouvoir exprimer le mieux mes dispositions intérieures.» – Novalis

Maeterlinck pourrait tout aussi bien être l'auteur de cet aveu. À en juger d'après le succès mondial de la pièce, on a toute raison de penser que l'esthétique du poète dramaturge a trouvé son application la plus complète, la mieux aboutie, dans L'Oiseau bleu (1909), trois ans après l'échec de Joyzelle. Chez lui, une des singularités de la création, comme on l'a constaté, c'est, depuis La Princesse Maleine, de recourir au conte et à la légende, à maintes reprises, pour porter à la scène sa vision du monde, des êtres et des choses. Sans nul doute, L'Oiseau bleu est l'apogée de sa préférence marquée pour le conte, le genre littéraire le plus décalé par rapport au réel, mais aussi le plus proche des superstitions populaires et de la tradition ésotérique. Pour lui, le conte signifie l'affranchissement des codes imposés par la logique et par la vraisemblance. C'est le dernier espace du libre jeu de l'imagination.

Pourtant, on a quelque peine à imaginer que Maeterlinck se serait livré dans L'Oiseau bleu à un jeu gratuit, sans autre fondement que la fantaisie ou le divertissement. Pour le connaisseur de la cosmogonie du romantisme, le Märchen, que l'auteur traduit en toute connaissance de cause par «conte symbolique», s'il est une féerie libérée des lois de la pensée, est avant tout le document de sa conception de l'univers. Il correspond à la vision originelle d'un cosmos primitif où l'esprit et la matière, le visible et l'invisible étaient mêlés et où les contraires entre les différents signes de la nature étaient absents. La féerie est une autre manière d'aborder, avec distance et sur le ton de l'ironie, les problèmes fondamentaux, qui ont nourri son oeuvre dramatique et sa réflexion : le mystère de l'existence, le secret du bonheur et la mort. À qui en douterait, la réflexion que Maeterlinck fit à son illustrateur et mai Charles Doudelet laisse entendre que L'Oiseau bleu n'est pas seulement une féerie à grand spectacle dans l'esprit de son créateur : «Cet Oiseau qui n'a l'air de rien, est en réalité plus difficile à traduire qu'une page de philosophie.» Avertissement aux sceptiques et aux rationalistes qui y verraient la leçon de Candide!

(Extrait du chapitre : Le conte à la scène. L'Oiseau bleu et Les Fiançailles.)
Table des matières

Avant-propos
Introduction

Les étapes d'un parcours

Mise en perspective – Les années 1885-1890

De nouvelles valeurs esthétiques
   Les grands initiateurs
      Ruysbroek l'admirable : une «illumination»
      Novalis ou la découverte du sens mystique du langage (1889-1890)
      Emerson : sagesse, âme et vie supérieure

Le poète et le conteur
   Serres chaudes
   Les visions typhoïdes
   La chanson
   Le conte

Le théâtre
   Les fondations esthétiques de la dramaturgie maeterlinckienne
   Les pièces de théâtre
   Le conte à la scène
   Vers d'autres sources d'inspiration
   Le théâtre de guerre
   Un surprenant attrait pour la farce
   Pièces publiées dans Les OEuvres libres
   Le théâtre inédit
   Autres pièces

Les essais
   L'essai dans l'évolution de l'écrivain
      La continuité d'une pensée
      Une philosophie de l'inconscient
      Le regard vers les philosophies de l'orient
      Le monde animal et végétal
      Les essais et la forme fragmentaire

En guise de conclusion

Bibliographie
Index des noms cités

À PROPOS DE L'AUTEUR
Paul Gorceix

Auteur de Maeterlinck, l'arpenteur de l'invisible



Né à Joigny dans l'Yonne, Berrichon par sa mère, Limousin par son père, Paul Gorceix entame en 1947 à l'Université de Potiers des études de langue et de littérature bientôt interrompues par la maladie. La tuberculose le cloue au lit durant deux ans, au cours desquels deux livres de chevet surtout le soulagent de ses peines : L'âme romantique et le rêve d'Albert Béguin et De Baudelaire au surréalisme de Marcel Raymond : ébauche d'une vocation?

Sa dernière année de licence, il la passe à Vienne, où il est assistant à l'Akademisches Gymnasium, tout en suivant les cours de Josef Nadler à l'université. Sa licence obtenue, il se retrouve assistant de français à Offenbach, près de Francfort. Rentré en France, il n'a de cesse de s'expatrier à nouveau. Il obtient un poste d'adjoint d'enseignement à Bône, actuellement Annaba, en Algérie. On est en 1954, au début de la guerre d'indépendance : il prépare dans ce climat le concours d'aptitude à l'enseignement secondaire, qu'il réussit, et lui vaut d'être affecté comme professeur adjoint dans un lycée strasbourgeois. L'Allemagne est proche : il obtient des Affaires Étrangères une nomination à l'Institut Français de Brême, puis un lectorat à l'université de Marbourg, jumelée avec celle de Poitiers, où il prépare un premier doctorat sur Ernst von Feuchtersleben, un ancêtre méconnu de la psychanalyse. Pour la thèse d'État, on lui suggère un sujet embrassant les lettres françaises et allemandes : le projet débouchera sur un ouvrage paru aux PUF en 1975 : Les affinités allemandes dans l'œuvre de Maurice Maeterlinck. Contribution à l'étude du Symbolisme français et du Romantisme allemand, qui lui vaudra le prix Strasbourg en 1976.

«Votre destin est scellé», lui dira Roland Beyen en l'accueillant à l'Académie. Dès la défense de sa thèse, il obtient la chaire de langue et de littérature allemandes à l'Université de Poitiers, et l'habilitation à la défense de thèses de maîtrise en littérature française de Belgique. Il développera ce deuxième volet lorsqu'en 1991 il sera nommé professeur à l'Université Michel de Montaigne de Bordeaux.

«Depuis 1967», année où il a déposé son sujet de thèse sur Maeterlinck, «votre engagement pour la littérature française de Belgique aura été total» , poursuivra Roland Beyen. Effort qui sera couronné, en 1999, par le Prix du rayonnement des lettres françaises de Belgique à l'étranger. Médiateur, Gorceix l'est à l'image de Maeterlinck, qui devait son rôle d'intercesseur entre le romantisme allemand et le mouvement symboliste français à sa situation de Flamand de langue française au carrefour de l'Europe. Elle permettait «d'aller de la pensée du mystique médiéval (Ruysbroeck) au mouvement symboliste», en particulier en Belgique bien sûr, mais aussi d'être profondément sensible à l'œuvre de Novalis. Gorceix a étudié avec passion ces interactions, recherches qu'il a déployées dans quelque vingt-cinq livres, maints articles et recensions.

On lui doit notamment la réédition des poèmes de Maeterlinck et d'Elskamp dans la collection «Poésie» chez Gallimard, et le rassemblement des textes fondamentaux de La Belgique fin de siècle en deux forts volumes chez Complexe, ainsi qu'en trois tomes chez le même éditeur un gigantesque ensemble d'œuvres de Maeterlinck, ce «visionnaire du dedans», selon la belle expression dont Gorceix le désigne, cet «arpenteur de l'invisible» comme il l'appelle au fronton de l'ouvrage de synthèse essentiel qu'il lui a consacré aux éditions de l'Académie.

Paul Gorceix est décédé à Pujols (Gironde) le 17 novembre 2007.


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Christian Janssens étudie de manière fouillée l’adaptation filmique des œuvres de Maeterlinck entre 1910 et 1929. Fortement arc-bouté sur le système conceptuel de Pierre Bourdieu, cet ouvrage savant envisage l’écrivain non comme un « créateur » plus ou moins doué, mais comme un agent de production en relation avec d’autres agents : critiques littéraires, directeurs de théâtre, cinéastes, musiciens, etc. Chacune de ses œuvres, à son tour, entre en relation avec d’autres œuvres, tant de lui-même que d’adaptateurs ou d’écrivains tiers. « Ces rapports sont des rapports de concurrence, de compétition » affirme clairement C. Janssens, pour qui la position objective de l’écrivain dans le champ culturel s’explique non par l’influence du milieu ou le génie créateur, mais par les rapports de force entre les différents agents concernés. Ainsi conçue, l’approche sociologique ne pouvait que comporter une dimension historienne, car les rapports de force précités évoluent constamment, mais aussi une forte composante économique : diffusion primaire des textes, rôle de la presse et de la notoriété, apparition de produits dérivés (mises en scène, traductions, partitions musicales, adaptations filmiques), puissance des « centres » internationaux (maisons d’édition, compagnies cinématographiques), phénomènes de mode, etc. Plutôt que de dresser un tableau général de ce système, même circonscrit à une littérature et à une période précises, C. Janssens a choisi d’étudier un cas particulier, celui de Maurice Maeterlinck et du réseau relationnel qui s’est constitué autour de lui. En tant qu’écrivain adapté au cinéma, il évolue en effet entre le champ littéraire – où il occupe une position dominante – et le champ cinématographique – où il occupe une position dominée ; cette dissymétrie fait mieux ressortir le fonctionnement respectif des deux champs, leurs similitudes et leurs divergences. En tant que dramaturge, Maeterlinck ressortit, de 1889 ( La Princesse Maleine ) à 1902 ( Monna Vanna ), à la « sphère de production restreinte », valorisée symboliquement par la reconnaissance des pairs. Fasquelle devenu son éditeur principal, il entre alors dans la « zone de grande production de qualité » caractérisée par une large diffusion, où il s’installe durablement à partir de L’oiseau bleu (1908). Le filmage de pièces ne commence qu’en 1910 : la multiplication des adaptations « est une conséquence et une cause du vieillissement artistique [de Maeterlinck] dans le champ littéraire ». Le passage de la sphère « restreinte » vers la sphère « publique » observé dans le champ littéraire va néanmoins se reproduire dans le champ cinématographique.Le corpus considéré, de 1910 à 1929, comporte vingt-quatre projets de films, dont dix ont été réalisés, mais dont trois seulement sont aujourd’hui conservés. Si les débuts sont timides, les films entrepris de 1914 à 1918 ne manquent pas d’ambition : Monna Vanna , Pelléas et Mélisande , Macbeth , The Blue Bird . À chaque fois, C. Janssens décortique avec minutie les stratégies des différents agents – dont la très active Georgette Leblanc –, éclairant les intérêts souvent hétérogènes des uns et des autres. Après 1918, la notoriété littéraire de Maeterlinck décline, tandis qu’il s’investit de plus en plus dans le cinéma, notamment l’écriture de scénarios ( La Puissance des morts , Le Malheur passe , etc.), tout en s’éloignant des « centres » italien et français au profit des compagnies américaines telles que la Goldwyn Pictures. Mais le succès ne suit pas et, à partir de 1925, Maeterlinck se réoriente vers l’écriture d’essais, tels que La vie de l’espace  : le seul projet de film qu’il agrée est Le Bourgmestre de Stilmonde , qui sortira en 1929. C’est l’année où prend son essor le cinéma parlant, tandis que les adaptations d’œuvres littéraires ne cessent de régresser.Version allégée d’une thèse de doctorat présentée à l’U.L.B. en 2012, le livre de C. Janssens est d’une rigueur incontestable, accordant une place importante aux questions de méthodologie et à la précision documentaire. Loin de toute considération psychologique ou exégétique, il s’appuie exclusivement sur des faits avérés en prenant pour balises des concepts de Bourdieu ou inspirés par lui, dont il démontre par le fait même la pertinence analytique. Malgré ses grandes qualités, une question demeure : quelle est l’utilité exacte de cette publication ?  Le lecteur informé n’apprend pas grand-chose de nouveau sur Maeterlinck, qui n’est ici qu’un cas d’école, et l’examen de sa carrière entre littérature et cinéma n’est guère généralisable. Détail révélateur : les nombreuses citations en anglais ne sont pas traduites (mais celles en italien le sont)…  Bref, il est à craindre que cet ouvrage reste confiné…

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