Au cinéma, le silence parle, et c’est le visage. Mais cela ne suffit pas pour tout dire. A voir M, le dernier documentaire de Yolande Zauberman, nous découvrons un monde en partie violé sur lequel une parole doit se faire. La réalisatrice suit le visage d’un homme, Menahem Lang, qui porte au grand jour cette blessure: une enfance qui ne passe pas puisqu’en somme, elle n’a jamais pu réellement se passer. Un homme dont on a brûlé l’innocence lorsqu’il avait quatre ans, comme à un nombre inimaginable d’autres enfants de sa communauté. Il s’agit de ces juifs ultraorthodoxes de Bnei Brak dont les règles de vie remontent à un Moyen Âge qui semble hermétique à toute invasion de la modernité… Menahem a 35 ans au moment où se décide la rencontre avec Yolande. Avec elle, il va retourner vers ce monde, quitté dix ans plus tôt pour affronter ses démons. * Film de nuit qui se déroule sur les routes autour de Tel Aviv, à bord d’une voiture dont on ne voit quasiment…
Maisons d’écrivain: où en est la Belgique?
Pour une Europe des patrimoines littéraires? « Il faut des résistants à l’amnésie culturelle ambiante ». C’est par ces mots que Jacques De Decker a terminé son intervention lors de la journée d’étude intitulée « Pour une Europe des patrimoines littéraires » organisée à Bourges du 15 au 17 novembre 2018 par la Fédération des maisons d’écrivain XX à l’occasion de son vingtième anniversaire. Il soulignait ainsi le rôle crucial des maisons d’écrivain et des musées littéraires pour faire vivre la littérature sur le terrain, au cœur de la cité. Il affirmait aussi sa conviction que l’Europe serait culturelle ou ne serait pas et que sa construction, si elle ne reposait que sur une union économique, resterait superficielle et incapable de répondre aux bouleversements que traverse le monde. La conclusion de cette rencontre, qui réunissait des représentants de huit pays européens, fut un plaidoyer d’Alain Tourneux, président de la Fédération française des maisons d’écrivain, pour la création de routes littéraires européennes et la coopération entre les différents réseaux nationaux de maisons d’écrivain et de patrimoines littéraires. L’objectif serait de bâtir des ponts, de créer des outils communs de promotion et de recherche et d’encourager des jumelages entre des maisons d’écrivains, des fonds d’archives et des musées littéraires de différents pays. La Belgique francophone peut-elle s’inscrire dans cette dynamique naissante? Les maisons d’écrivain, un vivier culturel Les patrimoines littéraires présentent des enjeux importants du point de vue culturel, pédagogique et touristique. Avec les maisons d’écrivain, la littérature sort de la page, s’ancre dans un territoire et, soudain, la communauté invisible qui entoure l’œuvre se matérialise et, mieux, s’élargit. Le lieu littéraire perpétue une mémoire, mais il ne réussit sa mission que si, en plus de conserver le passé, il le rend intelligible dans le présent, le met en dialogue avec l’actualité et en fait un foyer de créativité et de réflexion de nature à nourrir l’avenir. Une maison d’écrivain est un lieu de vie, sa vocation est d’accueillir. Des publics très différents ne cessent de s’y croiser: des spécialistes d’une œuvre, des lecteurs plus ou moins assidus, des enseignants et leur classe, comme de simples curieux, ce qui demande un travail important de réflexion en matière de muséographie et d’offre de médiation. Une rencontre comme celle de Bourges, réunissant plus d’une centaine de conservateurs de maisons d’écrivain, a mis en évidence une volonté très largement partagée d’éviter le figement qui ferait de la maison un mausolée. La plupart des maisons d’écrivain proposent en effet des animations pédagogiques, participent à des projets de recherche, accueillent des rencontres, des journées d’études, des expositions, des spectacles… Beaucoup d’entre elles organisent également des résidences d’écrivain, ce qui témoigne de la volonté que la maison, dont l’essence est d’avoir été un lieu de création, puisse le rester. Si l’on regarde la carte des membres de la Fédération française des maisons d’écrivain XX , le maillage littéraire extrêmement serré de l’ensemble du territoire impressionne. Les maisons d’écrivains apparaissent ainsi comme un vivier culturel très dynamique. La carte littéraire de la Belgique est encore à dessiner La Belgique possède une carte littéraire. Elle n’est pas géolocalisée comme la carte française, mais peinte à l’huile par Paul Delvaux et son élève Walter Vilain. Exposée aux Archives et Musée de la Littérature, elle donne envie de sillonner le pays. Hélas, il ne subsiste que peu de souvenirs des écrivains dans chacun des lieux qui leur sont associés sur la peinture. Il n’existe en outre aucun réseau belge francophone ou outil promotionnel (site internet, brochure) pour faire connaître ce patrimoine. Il semble, sous réserve d’une enquête plus approfondie, que la question des patrimoines littéraires se pose différemment dans la partie néerlandophone du pays. La Flandre compte en effet plusieurs maisons d’écrivain (Guido Gezelle, Herman Teirlinck, Cyriel Verschaeve, Ernest Claes, René De Clercq, André Demedts XX ), un espace consacré à Louis-Paul Boon à Alost, deux musées liés à des écrivains francophones de Flandre (Verhaeren et Maeterlinck) ainsi qu’une exposition permanente à la Letterenhuis d’Anvers, qui offre une plongée dans l’histoire de la littérature flamande. Une plateforme appelée « Platform Literaire Erfgoedbeheerders in Vlaanderen » a vu le jour en 2006. Elle publiait une brochure recensant 11 musées littéraires. Si elle ne semble plus en activité, une page internet du site de l’association « Openbaar Kunstbezit in Vlaanderen » rassemble aujourd’hui ces informations XX . S’il faut reconnaître que la Belgique francophone ne compte pas un grand nombre de maisons d’écrivain par rapport à d’autres régions d’Europe, elle présente cependant d’incontestables réussites, des initiatives courageuses et de très grandes potentialités qui n’attendent qu’à être développées. L’exploration du patrimoine littéraire belge réserve ainsi de belles découvertes pour le spécialiste comme pour le grand public. Les maisons d’écrivain Une maison d’écrivain est un musée à part, un musée au plus près du fantasme. Peu importe que la maison soit conservée intacte ou qu’elle soit partiellement ou complètement reconstituée – il y a toujours une part de mise en scène ou de reconstitution –, l’essentiel est que le visiteur ait la sensation que la maison est habitée et que l’écrivain pourrait surgir à chaque instant, franchir le seuil de la pièce et l’accueillir. La muséographie doit ainsi savoir se faire oublier pour que se crée l’illusion d’une intimité dans laquelle le visiteur est l’invité ou peut-être le clandestin entré par effraction. La visite d’une maison d’écrivain comprend en effet les pièces de réceptions, mais aussi des lieux plus secrets. La chambre, la salle de bain, la cuisine suscitent la curiosité comme si ces pièces et les objets du quotidien qu’elles contiennent pouvaient permettre de saisir l’homme au-delà de l’image qu’il donne de lui-même ou qui a été figée par l’Histoire littéraire, de comprendre le créateur au plus près de sa vérité. Comme tout musée littéraire, la maison d’écrivain doit en outre répondre au défi de rendre visuel ce qui est de l’ordre du texte. Ce lieu doit également être pleinement compréhensible et appréciable au-delà d’un petit cercle d’initiés. La muséographie et la médiation doivent parvenir « à faire parler le lieu », à plonger le visiteur au cœur de l’imaginaire de l’écrivain, même s’il n’a jamais lu un seul de ses textes, en créant un dialogue entre les pierres et l’œuvre. Enfin, ces habitations n’ont pas été conçues pour accueillir un grand nombre de visiteurs, ce qui pose des questions de conservation, d’accessibilité et de prévention des vols, puisqu’un intérieur est généralement composé de beaucoup de petits objets. L’expression maison-musée porte en elle une tension. Chaque conservateur devra trouver le juste équilibre sur un axe dont les termes maison et musée constituent les extrémités, ce qui implique d’inventer des solutions adaptées aux contraintes spécifiques du lieu et de son environnement. Les musées Verhaeren L’histoire complexe des musées Verhaeren illustre la difficulté de construire des projets muséaux autour d’un écrivain en coordonnant différentes initiatives privées et publiques autour de multiples fonds. Quelques tensions communautaires vinrent même compliquer la donne au milieu des années 1960 à Sint-Amands, provoquant des scissions. De cette multiplication de musées, il reste aujourd’hui trois lieux accessibles au public. Les Archives et Musée de la Littérature conservent…
Le fonds Jean Muno ( in La chronique des Archives & musée de la littérature )
Mon héros – le seul que je puisse comprendre de l’intérieur – sera [...] cette part décriée de moi-même et de mon lecteur, le « petit bourgeois » d’aujourd’hui, le petit homme occidental. Mon sujet : son inquiétude, son inadaptation, sa rébellion larvée, sa souffrance. XX Les archives de Jean Muno (1924-1988), léguées aux AML en 2008 par sa veuve, Jacqueline Burniaux, sont à l’image de son auteur : discrètes mais passionnantes. Désormais entièrement dépouillées et encodées sous les cotes ML 11140 à ML 11173, elles proposent au chercheur des manuscrits, des articles, les fragments d’un journal, des correspondances, des photographies,... qui touchent au plus près à l’identité complexe de ce natif de Molenbeek-Saint-Jean (« Ni Flamand ni Wallon ni même Bruxellois. Un mélange des trois, oui, une addition bizarre, assez inopportune, d’appartenances imparfaites » XX ) dont le destin se fixe dès les années 1950 dans une commune symptomatiquement dénommée Malaise, à cheval sur la future frontière linguistique. Sur cette identité « en creux » vient se greffer une blessure plus profonde, née du lien qui unit Jean Muno, de son vrai nom Robert Burniaux, à ses parents, Constant Burniaux et Jeanne Taillieu, tous deux instituteurs et écrivains. Une relation envahissante, entre rejet et ressemblance (père et fils siégeront, notamment, au sein de l’Académie royale de langue et de littérature française de Belgique), autour de laquelle se sont échafaudés la plupart de ses écrits. Si ceux-ci échappent au tragique, c’est parce que Muno s’est très vite emparé de deux armes de distanciation essentielles : l’humour et le fantastique. Le fantastique est avec l’humour une dimension constante, d’ailleurs très belge, de mon œuvre. Ce sont deux manières de prendre ses distances par rapport au réel sans rompre avec lui, sans cesser de l’appréhender. XX C’est en 1949 que, parallèlement à son travail d’enseignant, la carrière littéraire de Jean Muno démarre. Il écrit alors une pièce radiophonique intitulée Un petit homme seul, dont les archives, hélas, ne gardent pas trace. Qu’à cela ne tienne, on retrouvera ce personnage, sorte de double littéraire, de manière récurrente dans toute son œuvre, aussi bien dans les romans écrits à partir de 1955, que dans les nombreuses nouvelles qui paraissent en revues (dans Marginales et dans Audace, pour ne citer qu’elles). Le fonds, riche en manuscrits, propose au chercheur différentes versions des romans comme L’homme qui s’efface (1963), L’île des pas perdus (1967), Le Joker (1972) et Ripple-marks (1976), ainsi que des manuscrits de nouvelles plusieurs fois retravaillés pour les recueils La Brèche (1973), Histoires singulières (Prix Rossel 1979, rééd. 2015), Contes naïfs (1980) et Entre les lignes (1983, avec les étonnants dessins de Royer). Le fonds compte également quelques inédits ainsi que les manuscrits d’exploitations radiophoniques, théâtrales ou cinématographiques de certains textes. Ainsi, l’exemple de Comptine en 1966, tiré de la nouvelle Fumées sans feu et qui obtint le Grand Prix international de la fiction radiophonique Paul Gilson. À côté des manuscrits, le fonds présente aussi de nombreuses notes de travail ainsi qu’un fragment de journal (pour la période du 31 août 1952 au 7 avril 1957). Ils constituent une source précieuse pour le chercheur puisqu’ils plongent aux sources de la création et illustrent les conflits intérieurs, voire les révoltes de l’écrivain. Des documents à mettre en parallèle avec Rages et ratures, les pages inédites d’un journal de 1975 à 1986, dont un dossier retrace les étapes de l’édition posthume aux Éperonniers, en 1998. Des « dossiers d’édition » existent également pour certaines œuvres. C’est le cas pour le roman Histoire exécrable d’un héros brabançon qui, à défaut de manuscrits, reprend les maquettes de la couverture des éditions Jacques Antoine, avec les illustrations drolatiques de Jacques Faton en 1982. Caméléon, l’adaptation scénique de Patrick Bonté d’après plusieurs romans de Muno, est un cas similaire : pas de manuscrits, mais un dossier fort complet de la tournée du Théâtre de l’Esprit frappeur en Belgique, en Suisse et au Canada. L’œuvre fictionnelle ne doit pas faire oublier le Muno essayiste. S’il s’est souvent penché sur le statut de l’écrivain belge et, par extension, sur son propre statut – songeons, notamment, à ses interventions dans les Cahiers du Groupe du Roman –, la collaboration de Muno avec Robert Frickx a abouti à deux essais sur la littérature belge, l’un dans la collection Que sais-je ? en 1973 (rééd. 1980) et l’autre aux éditions québécoises Naaman en 1979. Quant aux lectures attentives du Muno critique, elles laissent entrevoir ses goûts littéraires et, notamment, sa grande estime pour les romans de Conrad Detrez. Un échantillon d’articles est bien entendu présent dans le fonds. Celui-ci se clôt par des dossiers de correspondances qui restituent, à travers des lettres d’auteurs amis comme Gaston Compère, Jacques Crickillon, Marcel Moreau ou Paul Willems... l’écho de la voix de Jean Muno. Mettons en exergue la volumineuse et désopilante correspondance de Jacques-Gérard Linze à Muno qui, avec plus d’une centaine de lettres – à compléter avec les lettres de Muno à Linze déjà présentes aux AML – nous content l’histoire d’une amitié savoureuse et indéfectible. Rappelons qu’une sélection de ces archives Muno est mise en valeur dans les locaux des Archives et Musée de la Littérature jusqu’en septembre 2015. Elle s’intitule « Jean Muno et l’ironie » XX : juste regard sur celui qui feignait de s’excuser : « Est-ce ma faute si le rire existe ? » XX Saskya Burens Muno (Jean), « Le blanc cassé », dans Le Groupe du Roman, cahier 1, 1967, p. 38. Muno (Jean), « J’habite Malaise, Belgique », dans Le Groupe du Roman, cahier 23, 1989, p. 141. Jean Muno cité dans Denis (Marie), « Le Vampirologue », dans Le Groupe du Roman, cahier 23, op. cit., p. 77. Titre inspiré par l’essai de Moreels (Isabelle), Jean Muno. La subversion souriante de l’ironie, Bruxelles, Bern, Berlin, Frankfurt am Main, New York, Oxford, Wien, pie-Peter Lang, 2015. Muno (Jean), Histoire exécrable d’un héros brabançon,…