Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures : énigmatique, cette formule éclate rapidement et se déploie, limpide et forte, sous la plume de l’autrice belge Claire Lejeune (1926-2008) dans ce chatoyant recueil de textes inédits publié à L’arbre de Diane.
Pour trouver la clé, il fallut perdre la mémoire des serrures : énigmatique, cette formule éclate rapidement et se déploie, limpide et forte, sous la plume de l’autrice belge Claire Lejeune (1926-2008) dans ce chatoyant recueil de textes inédits publié à L’arbre de Diane.
Porte…
Textyles - 52 -2018 - Marcel Lecomte, entre présence et absence
Sommaire • Présentation par Paul Aron , Philippe Dewolf • Marcel Lecomte et Franz Kafka, une traduction…
Mimy Kinet : « Je ne connais pas la révolte. Je suis simplement entrée en révolution »
Mimy Kinet est une poétesse belge dont les œuvres complètes viennent d’être rééditées à l’Arbre à paroles dans une anthologie au titre évocateur, Le temps de passer. Le temps, thème récurrent dans son parcours poétique « qu’il ne faut pas brusquer [...] sinon il se venge de nous ». XX * Mimy Kinet est née à Grupont en Ardenne en 1948. Elle est considérée comme l’une des plus belles voix de la poésie francophone du XXe siècle. C’était une femme frêle, petite, discrète, avec de grands yeux marron. Elle avait un regard que ses amis proches disaient empli de tendresse, et qui, lorsqu’elle vous fixait, vous fouillait jusqu’au bout de vous-même. Elle a été directrice de la revue RegART, membre du comité de lecture de l’ancienne équipe de l’Arbre à paroles de la maison de la poésie d’Amay. Elle a eu trois enfants, et a joué un rôle essentiel de passeuse de poésie, notamment pour ses traductions d’auteurs grecs contemporains. Elle a commencé à publier à l’âge de 40 ans, en 1988, et est décédée en 1996, on parle donc de moins de dix ans d’écriture. En 1997, un an après sa mort, est sortie une première anthologie, réalisée par André Doms et Pierre-Yves Soucy, un collector depuis lors épuisé. Vingt ans plus tard, une nouvelle anthologie paraît, réalisée par Claude Donnay et Agnès Henrard, où la préface originale est reprise avec quelques ajouts. À noter que ce nouvel ouvrage a été enrichi d’une série de textes encore inédits et scrupuleusement sélectionnés pour leur maturité. Une œuvre poétique Mimy Kinet n’a pas eu la reconnaissance à laquelle elle aurait pu prétendre en regard de la qualité de son écriture, mais elle fait partie de ces écrivains qui ne cherchent pas la renommée à tout prix. En dehors d’un cercle littéraire restreint, elle était une inconnue. Discrète, presque marginale, elle laisse pourtant des textes d’une puissance absolue. Passionnée par la langue française (elle était romaniste de formation), elle affectionnait particulièrement les phrases bien construites et dépensait beaucoup d’énergie et d’attention à trouver le mot juste. Le beau était en elle, mais elle trainait une souffrance, une désespérance liées au monde de l’enfance perdue. Dans cette nouvelle anthologie, on retrouve les textes déjà publiés de son vivant : Hypogées (Éd. L’Horizon vertical, 1991), pour une construction souterraine, une tombe, comme une métaphore de ses propres souterrains, illustrés par des monotypes du peintre Arthur Grosemans ; une plaquette, Requiem ; Le discours du muet suivi de fables du mardi (Éd. L’Arbre à paroles, Éd. du Noroît, 1994) recueil qui a attiré le plus les regards lors de sa publication. On y (re)découvre ses œuvres initiales, Nostos (1990) ainsi qu’une suite de textes réflexifs, Pollens, datée de 1989 et qui vient compléter son œuvre poétique. Le dernier ensemble porte le titre de Précis d’inconsistance (Éd. L’Arbre à paroles, coll. « Textimage », 1996). Parmi les écrits posthumes sélectionnés, il y a un corpus de 32 poèmes intitulé À voix tue, un second portant le titre de Mots murés et un troisième Demain ne s’ajoutera plus jamais à ma vie. Derniers nés, une suite de poèmes sans titre, clôture la somme de ses écrits. L’enfance, la mort et le silence... La poésie de Mimy Kinet n’appartient à aucune école, à aucun groupe, à aucun courant précis. Le lecteur comprend instantanément qu’elle se sentait captive d’un monde trop étroit pour elle. C’est une poésie du réel, basée sur l’expérience même de la vie. Une poésie noire, autocentrée, mais pas narcissique ni hermétique. Pas impudique non plus. Elle s’interroge en permanence sur le sens de la vie, de son début à sa fin. Elle l’expérimente, la ressent, essaie de donner un ordre, un sens grâce à la parole poétique. La vie est une errance qu’elle tente de matérialiser dans l’écriture. Pour elle, les racines de notre existence sont attachées au vide. Sa poésie questionne et se questionne sans cesse. Elle nous interroge sur notre provenance, nous associe à ses questions, tente de traduire en mots le monde que nous partageons tous. Souvent, la chute est inéluctable : « Questionne, /mais défie-toi des réponses : / elles sont toutes fausses. » Plusieurs thèmes centraux habitent son œuvre. Les plus marquants sont le silence, l’enfance, la solitude, la mort, tous reliés les uns aux autres à des degrés divers. L’enfance, ou plus précisément, l’origine de la vie, est tombée dans l’oubli et est devenue inaccessible, avec comme unique horizon, inévitablement, la mort. Pour Mimy, l’enfance et la naissance sont un signe de fermeture. Un vide s’est créé dès ce moment-là et elle se retient, lucide, toujours prête à tomber. Comme si les rêves qui nous habitent depuis l’enfance ne pouvaient jamais se réaliser ni s’exaucer. « "Vivre sa mort" : le slogan fait fureur / alors que dans l’ataraxie du monde / chaque enfant d’aujourd’hui sait / qu’il lui faudra mourir sa vie. » À la lecture de ses écrits, la question de l’origine apparaît comme une ligne fluorescente parcourant l’ouvrage d’un bout à l’autre. Les femmes apparaissent tantôt sous les traits de certaines héroïnes de la mythologie (Psyché, Antigone, Perséphone), tantôt telle une « Madame Ève » découragée ou encore une « vieille femme sans avenir ». Elle est aussi la mère, lasse, celle qui a porté les enfants, mais rien ni personne ne lui apporte « les clés, les vies, les labyrinthes ». La maternité et sa complexité, les tâches quotidiennes qui l’occupaient (et qui semblaient l’aliéner) sont une matière poétique en soi qu’elle exploite toujours dans cette idée que « la vie ne nous pardonne pas de l’avoir mise au monde ». Les femmes et les hommes sont tous « les naufragés d’une inavouable tendresse ». Pierre-Yves Soucy, éditeur et ami proche de la poétesse, écrit dans un article XX à son sujet : « Kinet vit sa vie comme s’il s’agissait d’une condition étonnamment stagnante, irrécupérable puisqu’elle est enclose dans la perspective de sa fin, une perspective de silence absolu sous les arcades de la démesure de l’éternité ». La poésie de Mimy Kinet est une poésie du destin, et en cela elle touche à une certaine universalité. Singulièrement, et c’est important de le souligner, sa poésie est aussi remplie d’humour. Cynique et drôle, elle se joue des mots et de la vie « La poésie est l’accomplissement du suicide d’un désespéré n’ayant ni corde ni code pour en finir avec le rêve » ou encore : « Il ne pouvait pénétrer dans un ascenseur sans prendre peur. Non qu’il fût claustrophobe. Mais il était si petit qu’il ne pouvait atteindre le bouton qui menait au ciel ». Désenchantée par rapport à l’amour, le sens de la vie et la voie sans issue sur laquelle nous sommes tous en (dés)équilibre, elle use de mots durs, piquants, qui témoignent d’un caractère fort, atypique, résistant, presque « féministe » dans un entourage qui ne l’était pas forcément. Et s’il faut s’en aller... La poésie de Mimy est faite de doutes et d’inquiétude permanents. Se sentant « apatride » et « orpheline d’une terre invisible », elle trouve dans la Grèce un refuge apaisant et acquiert même une maison sur une île grecque. Parlant le grec moderne, elle était fascinée par sa poésie et était proche d’artistes grecs comme Aki Roukas, Photis Ionatos et Costa Lefkochir. Elle participe à la traduction de Petit livre pour les grands rêves de Tassos Livaditis. Poète né en 1922 à Athènes, celui-ci a de nombreux points communs avec sa traductrice : malgré la publication d’une vingtaine de recueils de poésie, il ne fréquentait pas les sphères littéraires et affectionnait l’anonymat. Communiste,…