Profils perdus

RÉSUMÉ

Postface de Raymond TroussonÀ propos du livre

Romancière des plus pénétrante, Louis Dubrau, née Louise Scheidt en 1904, est une des femmes écrivains essentielles dans les lettres belges du siècle révolu, qu’elle traversa presque de bout en bout, puisqu’elle mourut en 1997.

Femme engagée, elle refusa les concessions et prit fait et cause dans le combat féministe…

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Le camion déboucha du bois avec un bruit de ferrailles malmenées, d'essieux grinçants, et apparut sur la grand-route nue comme un prisonnier qui donne tête basse dans un traquenard. Alors Firmin, le conducteur du véhicule, s'essuya le front d'une main sale et, après s'être accordé un instant de répit, cria d'une voix furieuse :

– Ceux qui sont du côté de Bougval doivent descende.

Il y eut à l'intérieur, sous la bâche tressautante, un remue-ménage assourdi, puis un panier d'osier fut glissé dans l'entrebâillement de deux toiles écartées.

– Il n'y a que moi qui descende ici, Monsieur.

– Ah bien.

L'homme freina, gagnant le bas-côté de la route et, sans passion, regarda la femme qui sautait sur le chemin : une fille de quarante ans passés, dépourvue de charme, les cheveux plats sous un chapeau à larges bords.

Encore une qui rentrait chez elle! L'homme était blasé. Depuis plusieurs semaines, il s'employait à rapatrier des réfugiés et ramenait vers des villages, des hameaux, des agglomérats de maisons plus ou moins intactes, toute une population hâve, dépenaillée, réduite par mille et mille tribulations crucifiantes.

Il connaissait par cœur les histoires : le bombardement des civils, l'encombrement des routes, la peur collective qui avait chassé jusqu'aux confins de la France tout un menu peuple, en proie à la plus folle des paniques.

Il n'écoutait plus les confidences, ayant perdu, parmi d'autres biens, la faculté de s'émouvoir et de s'encolérer.

Simplement il conduisait son camion, les yeux brûlés de poussière, les pieds cuits par l'échauffement du moteur.

Quelquefois, parce qu'on avait embarqué un malade ou un dément, une ambulancière faisait route avec lui. La belle devenait grisâtre après deux heures de trajet et Firmin, qui connaissait les faiblesses de son tacot, conseillait paternellement à la nouvelle venue :

– Ne vous asseyez que sur une fesse lorsque je dois sauter un cassis, sans quoi vous aurez l'impression d'être empalée tout net.

Quelques-unes le remerciaient, d'autres… Allez donc comprendre les femmes ! Vous leur donnez un conseil et elles se croient outragées.

Firmin se pencha à la portière, cracha un resta de mégot sur l'herbe brûlée.

Les femmes…

C'est par tombereaux qu'il en avait ramenées… Toutes les mêmes. Pleines de courage et d'esprit de sacrifice quand cela va mal, mais faisant des chinoiseries à n'en plus finir dès que cela va un peu mieux.

Encore une femme…

Firmin regarda celle qui venait de descendre du camion. Elle restait là, plantée le long du chemin, son panier d'osier devant elle. C'était pourtant une fille du pays.
(Extrait de la nouvelle Au retour.)
Table des matières

Au retour
Une nuit
Service de nuit
Les yeux clairs
Ainsi soit-il !
Ignorance
Échec et mat
La chance ne passe qu'une fois
L'homme qui avait changé de peau
La leçon du grenier
La preuve par l'absurde
Plain-chant
L'admirable Monsieur Pivert
… Et qui se fait chair…
Le choix
Le cœur couronné
Je te dois un aveu
Le vainqueur
Le tricheur
Profils perdus
Quadrille
L'esprit de famille
Le confident
Cette pauvre Julie
Carla
La fenêtre sur la cour
L'exclu
Qui sait?
Tante Lismonde
Le journal insolite
La biche
Tel qu'en lui-même, enfin, l'éternité le change
Une bavure
L'ombre portée
La métamorphose
L'abonné absent
Proserpine
Boomerang

Louis Dubrau, par Raymond Trousson

À PROPOS DE L'AUTEUR
Louis Dubrau

Auteur de Profils perdus

Devenue académicienne, romancière et nouvelliste, autrefois poétesse et grande voyageuse, essayiste à ses heures et moraliste dans l'âme, l'écrivain qui se fait appeler Louis Dubrau est une femme qui a bâti une oeuvre littéraire féconde, diverse et riche : poèmes et aphorismes, reportages et récits, contes et romans sont tous marqués par une philosophie amère de l'existence et la quête désespérée d'une vérité cachée.L'impossible bonheur et la mésentente du couple sont les thèmes romanesques qui lui ont permis d'accéder à la notoriété avec A la poursuite de Sandra, qui reçut le prix Rossel en 1963. La clarté de son écriture quasi parfaite et classique lui a valu d'être élue à l'Académie. Elle fut également vice-présidente de l'Alliance française de Belgique et autrefois la secrétaire générale du P.E.N. Club. Ces honneurs et ces engagements ne l'ont pas empêchée de rester indépendante et de garder un franc parler... Octogénaire, elle montre toujours une vivacité d'esprit qui donne à son regard une étonnante jeunesse.19 novembre 1904 : Naissance de Louise Scheidt à Bruxelles d'une mère belge (Catherine Desmedt) et d'un père lorrain, natif de Metz.1906 : Alors que Louise a deux ans à peine, son père se suicide. Comme, dit-on, elle lui ressemblait, elle se réfugiera plus tard dans une "immense tendresse pour l'absent".1912 : Remariage de sa mère avec un homme dépourvu de coeur. Nouveau malheur pour l'enfant qui lit et... écrit sa première oeuvre : une pièce de théâtre Fleur de malheur, dont le texte est perdu.1918 : Premiers essais de roman et premier pseudonyme, "Sône Arpenka".1925 : Louise part pour Paris et suit en élève libre des cours à la Sorbonne et au Collège de France, elle fait du dessin, de la musique, du chant et fréquente beaucoup les peintres. Il y en aura plus tard dans son oeuvre romanesque...1934 : Rentrée à Bruxelles, elle donne des récitals de chant à la Maison d'Art, et publie dans Le Thyrse son premier poème sous le nom de Louis Dubrau : le pseudonyme masculin a été choisi "par souci d'objectivité et pour éviter la misogynie des critiques" et "Dubrau", pour rappeler le nom de sa grand-mère paternelle. C'est alors qu'elle rencontre Pierre Louis Flouquet et le groupe du Journal des Poètes, auquel elle collabore bientôt comme critique et conférencière.1935 : Mariage avec Fernand Janson, professeur de morale. Louise n'est pas heureuse en ménage.1936-38 : Publication coup sur coup du premier roman Zouzou, du premier recueil de poèmes Présences et d'un recueil de contes Louise.1939-40 : Louis Dubrau reçoit le prix Verhaeren pour Abécédaire, et publie un recueil d'aphorismes Amour, délice et orgue, préfacé par Victor Larock.1940-45 : Louis Dubrau se lance dans l'action politique (inscription au parti Communiste), devient présidente de "L'Union des Femmes" et rédige un journal Femmes dans la lutte puis Femmes dans la vie, collabore très activement à la Croix-Rouge et écrit Service de nuit. A la libération, elle participe, à Paris, à des réunions avec la Passonaria, Elsa Triolet, etc., mais, en 1947, démissionne de tout mouvement politique.Depuis 1954, Louis Dubrau voyage régulièrement, seule et en dehors de tout circuit touristique, aux quatre coins du monde, souvent à des moments critiques ou dans des conditions dangereuses, écrivant des reportages et des récits, s'inspirant des lieux visités. Elle visite Israël (1954); deux fois l'ancien Congo belge et le Ruanda-Urundi (1955 et 1960) qui lui fournit la matière d'un recueil de poèmes Ailleurs; l'Iran et la Turquie (1957) qui lui inspirent La fleur et le turban; Madagascar, l'île Maurice et la Réunion (1964) qui donnent lieu à un récit Les îles du Capricorne; d'autres pays lointains comme les Açores, les Guyanes, Haïti, la Martinique et la Guadeloupe; l'Afrique occidentale : la Côte d'Ivoire, la Haute-Volta, le Mali, le Sénégal; les États-Unis et, bien entendu, de nombreux pays européens.1963 : La romancière Louis Dubrau reçoit le prix Rossel pour un de ses meilleurs livres, A la poursuite de Sandra, où un homme finit par retrouver aux Açores, quelques jours après la mort de celle-ci, la trace de celle qu'il a cru aimer.1973 : L'écrivain, qui a publié entre-temps plusieurs autres romans Comme des gisants, Le bonheur cellulaire, Le cabinet chinois... est reçu par Adrien Jans à L'Académie Royale de Langue et de Littérature Françaises de Belgique.1975-90 : Louis Dubrau, qui se spécialise désormais dans le récit et la nouvelle, reçoit le prix littéraire de la Communauté Française pour son recueil Les imaginaires. Partageant sa vie entre un appartement à Bruxelles et une "maison de résidence" à Wiers, dans le Hainaut, à deux pas de la frontière française, la romancière se plaît actuellement encore à voyager (Andalousie, Crète, Sicile, Maroc, Gabon, Portugal, Italie, etc...), sans cesser entre-temps d'écrire...1990 : Louis Dubrau prépare une réédition (augmentée) de son premier recueil d'aphorismes...Louis Dubrau est décédée à Ixelles le 16 mai 1997.

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