Splendeurs et misères de la critique (Pierre Mertens, 1994)

Les maux dont souffriraient aujourd’hui la défense et l’illustration de la littérature, et qu’encourageraient parfois en parallèle une certaine démission, une abdication de la critique, nous savons quels noms on leur donne.
D’abord et avant tout le nivellement des valeurs résultant de la mercantilisation du produit appelé « livre » et qui suscite un insondable malentendu. Il y a quelques années un ministre français inaugurait le salon du livre de Paris en le baptisant « Paris-Dakar de la culture ». On frémit bien sûr à l’idée que cela ne fût justement que vrai et que cette invraisemblable métaphore ne fût que trop bien choisie.

Dans un monde où tous les livres se valent et quand toute autobiographie d’une star à la télé se présente comme un livre à part entière, ne soyons point surpris de la « chosification » (Sartre) qui en découle inévitablement. […]
Un jour où Saul Bellow s’entendait reprocher par un étudiant sur un campus universitaire…

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À PROPOS DE L'AUTEUR
Pierre Mertens

Auteur de Splendeurs et misères de la critique (Pierre Mertens, 1994)

9 octobre 1939 : naissance à Bruxelles de Pierre Mertens le jour, dit-il, où Hitler a décrété l'invasion de la Belgique (déjà un signe pour son oeuvre?) L'auteur dit aussi que ses parents ont cessé de croire en Dieu le jour où il est né (raccourci caricatural qu'il aime toutefois à rappeler). Son père, journaliste, et sa mère, biologiste aimant beaucoup la grande musique, auront sur lui une influence déterminante... 1940-44 : Départ avorté pour l'Afrique. L'enfant, qui vit à Bordeaux avec ses parents, a de vagues souvenirs de guerre : résistants juifs et soviétiques cachés sous le même toit. 1945-49 : Le garçon visite Anvers (les docks, le port où des tigres l'impressionnent...), s'intéresse aux expériences coloniales de son grand-père, lit Robinson Crusoé, les histoires d'Indiens et surtout Tintin. 1950-52 : Il écrit déjà de petites pièces pour les fêtes de l'école (où d'ailleurs il s'ennuie), reconstitue dans des terrains vagues le supplice de Jeanne d'Arc, la conquête de l'Amérique. Plus tard, il imagine un «remake» des Trois mousquetaires. 1952-56 : S'éveille à la «conscience politique» (problème algérien) et se passionne pour certains sports (cyclisme, tennis, boxe). Tandis qu'il étudie à l'Athénée d'Etterbeek (gréco-latines), il entreprend une autobiographie en plusieurs tomes : il lit aussi Green, Dostoievski, et surtout Kafka, l'auteur qu'il préfère à tous les autres. 1957-59 : Il découvre Freud, visite Londres, Rome et Florence (prix de dissertation ou d'éloquence), reprend son autobiographie: Paysage avec chute d'Icare (scène qui réapparaîtra dans ses livres ultérieurs). Il est entré entre-temps à l'Université Libre de Bruxelles pour y étudier le droit... 1960-63 : Il découvre un livre qui le marque profondément (Au-dessous du volcan de Malcolm Lowry), voyage en Europe (Venise, Barcelone), se marie : naîtront de cette union un fils et une fille, celle-ci le jour de l'assassinat de Kennedy. Il se spécialise en cinéma (les Italiens et Godard). 1964-69 : Chercheur à l'Institut de Sociologie de l'U.L.B, il est aussi membre du comité central de la ligue belge pour les Droits de l'Homme, suit des audiences au procès de Francfort (comparution des bourreaux d'Auschwitz), rédige des études sur la liberté de presse et le droit d'asile, accomplit diverses missions d'observateur au Proche-Orient : parti sioniste, il revient pro-palestinien...L'adaptation radiophonique d'Une leçon particulière le fait connaître au vaste public et Jean Cayrol encourage l'écrivain. 1969-70 : Il publie son premier roman L'Inde ou l'Amérique préfacé par P. Gascar (prix Rossel 1970) et, l'année d'après, son premier recueil de nouvelles, Le niveau de la mer. Entre-temps, il est devenu membre de l'Association Internationale des Juristes Démocrates et d'Amnesty International. Il est aussi observateur judiciaire aux procès politiques qui se déroulent alors en Grèce. Il préfacera un pamphlet anonyme Vérité sur la Grèce... 1971-73 : Il adapte et met en scène Le verdict, de Kafka, dirige une collection aux Éditions l'Age d'Homme, devient chroniqueur littéraire au journal Le Soir. Il publie son second roman : La fête des anciens, préface le livre posthume de P. Gadenne (Les hauts-quartiers), et publie Le droit de recours effectif devant les instances nationales en cas de violation d'un droit de l'homme. Il divorce... 1974-75 : Il réalise en Belgique son seul film: Histoire d'un oiseau qui n'était pas pour le chat (primé au festival de Monte-Carlo), publie Les bons offices, roman salué par Régis Debray comme un chef-d'œuvre, et un ouvrage sur L'imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l'humanité. Il est en mission au Proche-Orient, observateur au Portugal, et rapporteur sur la torture en Irlande... 1976-78 : Il publie un autre recueil de nouvelles (Nécrologies) et reçoit le prix belgo-canadien pour l'ensemble de son œuvre. En 1978, paraît Terre d'asile (Prix du Conseil Culturel) tandis qu'il constitue un dossier intitulé Une autre Belgique pour les Nouvelles Littéraires. Il a entre-temps «visité» les prisons du Chili et les camps de Chypre, s'est lié d'amitié avec des écrivains grecs (Vassilikos, Tsirkas, Theodorakis), et ce, avant de voyager en U.R.S.S. et d'accomplir une mission en Iran... 1979-80 : Pierre Mertens est nommé professeur de littérature comparée à l'Institut National des Arts du Spectacle, collabore à divers ouvrages sur la Belgique littéraire, et voit certaines de ses œuvres adaptées au théâtre, à la radio ou au cinéma, tandis que Monique Dorsel monte Dérives sur des textes de l'auteur. Il est entre-temps aux quatre coins du monde et rédige des études sur le terrorisme et la violence révolutionnaire. 1981-83 : Il préface L'affrontement de M. Graindorge, séjourne en Turquie, aux États-Unis, au Québec, etc, et publie simultanément La passion de Gilles (livret d'opéra) et Ombres au tableau (recueil de nouvelles). L'opéra est créé en 1983 par le Théâtre de la Monnaie. 1984-86 : Pierre Mertens change de style et de sujet en publiant une fable érotique Perdre, mais il revient à la nouvelle avec Terreurs qui fait notamment allusion au changement de régime politique en Grèce (L'ami de mon ami). 1986-89 : Pierre Mertens, docteur en droit et licencié en droit international, déjà maître de recherche à l'Institut de sociologie, devient directeur du Centre de Sociologie de la littérature à l'U.L.B. Boursier pour 1986 du Berliner Künsttlerprogramm, il séjourne un an à Berlin et se documente pour son roman, Les éblouissements , qui relate la séduction passagère du nazisme chez Gottfried Benn, un médecin-poète berlinois. Le livre, paru en 1987, obtient plusieurs prix. 1989-92 : Élu à l'Académie Royale de Langue et de Littérature françaises de Belgique en février 1989, l'écrivain est aussi nommé Chevalier de l'Ordre des Arts et des Lettres de la République française. Pierre Mertens publie alors coup sur coup Lettres clandestines, court récit décrivant la mort du musicien Alban Berg en 1935, et un recueil de nouvelles où interviennent surtout les écrivains, Les phoques de San Francisco, tout en confiant à Danielle Bajomée le projet d'écrire un «roman américain» concernant la guérison d'un fils sourd et les rapports qu'il entretien avec sa mère... (Pierre Mertens l'arpenteur, p. 105-107).


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Témoigner la monstruosité de la Shoah. Le devoir de mémoire et de transmission de Vincent Engel et Françoise Lalande

Introduction [page 37 de la version papier]  Dans son essai Fiction : l’impossible nécessité, Vincent Engel XX signale que « le discours sur la littérature de la Shoah est dominé par une insistance sur l’incapacité de ce discours et plus particulièrement sa déclination artistique » XX . De fait, le judéocide fut une expérience d’une monstruosité telle qu’elle paraît se situer au-delà de tout ce qui est humainement imaginable, dicible et transmissible. Cependant, ces trois concepts, Engel les qualifie comme des mots qui ne trahissent que notre incapacité à imaginer, dire et transmettre, « des mots qui ne disent rien sur ce qu’on entend qualifier à travers eux » XX .  Méditant sur le caractère toujours inédit et unique de l’expression de l’indicible, Engel montre comment le parcours du narrateur imaginé par Jean Mattern dans Les Bains de Kiraly XX (2008) atteste que, s’il est possible de surmonter la détresse en construisant un discours sur un événement apparemment inimaginable, indicible et intransmissible, le dépassement de cet inénarrable passe nécessairement par l’élaboration d’un récit personnel. 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