Véronique Bergen aime les intenses.On le sait.De livre en livre, elle nous a déjà tiré le portrait d’une belle brochette d’individus non seulement vivant à cent à l’heure mais dont la présence, l’intensité de leur présence, l’incandescence de leurs œuvres, n’arrêtent pas de nous attirer façon trou noir. Après Edie Sedgwick, Marilyn Monroe, Unica Zürn et Janis Joplin, voilà que Véronique Bergen s’attèle maintenant, dans un superbe essai, au cinéma de Luchino Visconti.Mais oui !Visconti, cet aristo – ce traître, diront certains – passant allègrement, au fil des ans, des années 50 au début des années 70, de films néoréalistes, fortement ancrés dans les misères sociales d’après-guerre, à un esthétisme décadentiste, mettant en scène, façon tragédie…
Extrêmement active, Véronique Bergen vient de publier en quelques semaines quatre livres : un recueil de poèmes illustré, Tomber vers le haut ; deux essais, l’un sur les Roms, l’autre philosophique, Fétichismes. Outre une postface pour Espace nord et plusieurs articles en ligne. Aujourd’hui, parlons de son portrait visionnaire de l’icône de la génération hippie, Janis Joplin, dernier livre qu’elle sous-titre avec à-propos Voix noire sur fond blanc.On hésite à employer le terme de « biofiction » pour qualifier ce texte car il s’agit d’une entreprise différente. S’il y a bien un tracé biographique de la chanteuse, née à Port Arthur (Texas), le 19 janvier 1943 et morte à Los Angeles, le 4 octobre 1970, faisant ainsi partie du club des artistes contemporains…
Le monde de Véronique Bergen, le monde qu’elle façonne de livres en livres, entre essais, romans, poésie et même livres pour la jeunesse, ne se laisse pas circonscrire sans sursauts : d’une part, parce que son style ne néglige ni les concepts les plus aiguisés, ni les images les plus éruptives ; d’autre part, parce que les thèmes abordés passent des Roms à Deleuze, de Janis Joplin à Kaspar Hauser, au corps de la top modèle, à l’alphabet sidéral, aux palimpsestes, griffures, aquarelles et autres résistances philosophiques…… Ou encore aux Fétichismes, titre d’un essai qui illustre plus que jamais sa démarche décalée, autant dire libre. Si le fétichisme est un mot qui s’applique indistinctement « au registre religieux, à l’échange des marchandises,…
Bon. Disons ceci : Jamais nous donne à lire une écriture « de milieu ». Pas une écriture « dramatique », donc. Pas attendre, dès lors, de Jamais qu’il nous livre une « belle histoire », savamment construite pour nous emmener, nous, lecteurs, jusqu’à la dernière scène, l’ultime sursaut intense que nous dévorerons avant de clore le livre.Jamais, c’est plutôt une plongée dans un milieu aqueux ou dans une forêt vierge. Une plongée dans un bain linguistique où tout pourrait virer chaos, sembler chaos, tant le récit de Véronique Bergen, sa façon de « réciter », n’a que faire d’une fiction « clé sur porte » avec un beau début, un beau corps et une belle fin.Bien sûr, Véronique Bergen n’est pas sotte. Nous donne des bribes de récit. Des points…
Les règles du jeu dans ce labyrinthe : il n’y aurait que sept premières fois et une seule seconde fois entrevue.L’éblouissement de la première fois, Proust l’a évoqué, notamment lors de l’épisode de la madeleine. Qu’on se souvienne, le bouleversement total ressenti à la première gorgée de thé ne sera pas répété si le narrateur renouvelle l’expérience. Ce n’est qu’après un long travail d’introspection que la sensation involontaire sera identifiée et « l’édifice immense » du souvenir dévoilé. À son tour, Véronique Bergen va se pencher sur ce mystère, définir son émoi et en analyser les causes. D’emblée, au seuil de son livre Premières fois, elle en signale la puissance :« Expérience inconnue d’une intensité que les deuxième, troisième,…
Un disque culte, ce premier album de Patti Smith, Horses, enregistré en 1975 à New York. Un brasier de poésie rock qui mérite la lecture rapprochée et raffinée qu’en fait Véronique Bergen dans son dernier opus. Elle montre comment Smith est la pionnière d’un nouveau visage du rock au féminin après Janis Joplin dont elle a précédemment évoqué le destin (Janis Joplin. Voix noire sur fond blanc, Al Dante 2016).Hantée par une série de voyants dont Rimbaud, Genet, Cendrars et par le souvenir de stars mortes comme Jimi Hendrix, Jim Morrison, Brian Jones, elle redéfinit le rock en annulant la frontière entre la parole et le son. Ses textes viennent de la poésie et la musique les vivifie. À la complexité textuelle correspond la simplicité musicale. Plusieurs de ses chansons…
Parfois, l’on comprend la nécessité impérieuse qui voudrait que seuls les écrivains soient habilités à parler d’autres écrivains. Le livre de Véronique Bergen sur Hélène Cixous en est une preuve probante. Paru dans une collection académique, cet ouvrage se démarque par sa langue virtuose. Cependant, la force de l’analyse qui y est déployée n’est en rien déforcée par la présence entêtante du style singulier de l’auteur de Kaspar Hauser ou la phrase préférée du vent : au contraire, ce livre éclaire avec finesse une œuvre aussi complexe que souvent jugée peu accessible, alors que les livres de Cixous sont, comme les décrit Bergen, « textes de vent et de soleil turquoise ».C’est au cœur même de ce qui anime l’œuvre de Cixous tout entière – les fictions…
Véronique Bergen sort, avec la jeune photographe Sadie von Paris, chez Al Dante, Gang Blues Ecchymoses, sous-titré rites & passages vers la vie, un recueil de textes poétiques et de photographies sur lequel on se couche comme on s’aimante, un livre-totem à poser entre les deux yeux telle une balle en plein front.
Réveiller le monde une balle d’amour perdue dans la jungle de la défonce l’alphabet des flingues ricoche sur les déjà-morts
Si nos gorges sont trop petites pour nos cris enterrons ballet des pelles les djinns de l’esclavage les technognomes des lobotomies érotiques
Sadie von Paris s’autoportraite façon destroy et met en scène ses complices tatoués devant un appareil calibré urgence. La parole bergenienne s’allume climax poésie…
Une belle surprise du côté de la collection « La petite bédéthèque des savoirs » (aux éditions Le Lombard) qui comme elle le dit, ne s’interdit rien. L’une « des invitations à aller plus loin » vient cette fois de Véronique Bergen comme scénariste, Winshluss comme dessinateur et d’Annomane pour la vive mise en couleur. L’alliance rock du numéro 29 de la collection, l’Anarchie, théories et pratiques libertaires. Évidemment, lorsque l’on se régale des planches de Winshluss à l’ironie grinçante (dont le style est assez particulier pour être rapidement reconnu) et de la narration agitée de Bergen, on sort de cette lecture décoiffée ! Prête à continuer la destruction des préjugés, car le duo s’attache ici à expliquer l’anarchie. Une vulgarisation…
Cette année-là, le rock and roll venait d’ouvrir ses ailes, certes. Un oiseau qu’on appelait Spoutnik, adieu à Marilyn au cœur d’or, etc. Cette année-là, surtout, « soixante-deeeeux », une femme entrait, souverainement nue, dans un univers qu’on préférait encore qualifier de « petits mickeys » plutôt que de Neuvième Art… Blonde exponentielle, la plastique parfaite, la lèvre purpurine, l’œil aguicheur, Barbarella plante ses pieds dans le sol de planètes lointaines et son regard dans les créatures vouées à rejoindre la pléthorique cohorte de ses amants. Elle s’avance en conquérante, libre, impériale, solitaire, et crève la page de la BD canonique, dont elle bouleverse l’agencement en strips réguliers et fait vibrionner les phylactères.La philosophe,…
« Belgiques », l’excellente collection de recueils de nouvelles des éditions Ker, s’enrichit cet automne de trois nouveaux volumes. Véronique Bergen signe l’un d’eux. Livrer un « portrait en mosaïque », un « tableau impressionniste » de la Belgique : tel est le cahier des charges de la collection. En dix nouvelles qui déambulent de Saint-Idesbald aux cantons de l’Est et s’attardent surtout à Bruxelles – ville capitale dont les hauts-lieux ont nom les Marolles, l’hôtel Métropole ou le château de Watermael-Boitsfort – Véronique Bergen esquisse les contours géographiques de sa Belgique. Et la peuple de ses gloires nationales : des peintres (Bruegel, Stéphane Mandelbaum, Léon Spilliaert ou James Ensor), des musiciens (Toots Thielemans, la pianiste…
« Belgiques », l’excellente collection de recueils de nouvelles des éditions Ker, s’enrichit cet automne de trois nouveaux volumes. Véronique Bergen signe l’un d’eux. Livrer un « portrait en mosaïque », un « tableau impressionniste » de la Belgique : tel est le cahier des charges de la collection. En dix nouvelles qui déambulent de Saint-Idesbald aux cantons de l’Est et s’attardent surtout à Bruxelles – ville capitale dont les hauts-lieux ont nom les Marolles, l’hôtel Métropole ou le château de Watermael-Boitsfort – Véronique Bergen esquisse les contours géographiques de sa Belgique. Et la peuple de ses gloires nationales : des peintres (Bruegel, Stéphane Mandelbaum, Léon Spilliaert ou James Ensor), des musiciens…
Nouvelle collection de petits formats à parution mensuelle des éditions Lamiroy, « L’article » livre son deuxième volume. Véronique Bergen y esquisse Jacques De Decker, L’immortel de l’Académie royale de Belgique.L’exercice d’admiration est le cœur même de la collection (pour le premier numéro, Gorian Delpâture parlait de Stephen King comme du « plus grand écrivain du monde »). Dans ce genre codifié, Véronique Bergen a choisi d’évoquer celui qui a été le Secrétaire perpétuel de l’Académie pendant dix-sept ans, l’écrivain, le traducteur et intellectuel dont le décès le 12 avril 2020 a plongé le monde littéraire belge dans la sidération. Dans l’hommage de l’académicienne à celui qui l’a accueillie dans la vénérable institution le 17 novembre…
Tandis qu’on y adhère tout de suite il est difficile de qualifier dans sa totalité le remarquable dernier livre paru de Véronique Bergen. Elle l’appelle « récit » : Ulrike Meinhof. Histoire, tabou et révolution. Ce texte multiple est foisonnant. Riche, documenté puisqu’il est historique dans son principe. Suprêmement intéressant, il est aussi poétique, même dans ses moments interpellants, voire tragiques. Toujours l’action est présente, violente parfois, mais elle ne cesse pas de bouleverser.Le sous-titre est programmatique. D’abord l’histoire factuelle d’Ulrike Meinhof : sa naissance, son existence. Elle devient révolutionnaire et meurt en prison, après torture, officiellement suicidée. L’histoire de l’Allemagne spécialement de la RFA est le contexte…
« À l’heure où, saturé d’images aveugles, le monde se vomit sur lui-même », à l’ère des pullulants et pusillanimes discours sur la « mort de l’art », rarement assiste-t-on au déploiement d’une œuvre consistante qui s’écarte de la mode actuelle – mode très reconnaissable en ce qu’elle est notamment constituée de « nano-cyberfictions », souvent accompagnées de paratextes hyperthéoriques qui ne sont que le pendant hirsute des hashtag autosuffisants et creux. À l’instar de l’artiste Marie-Jo Lafontaine, loin des « thèses qui font de l’art une tribune », Véronique Bergen consacre un puissant essai, sagace et passionnant, aux travaux de l’artiste. L’écrivaine fait émerger le souffle éminemment vital qui irrigue les créations de Marie-Jo…
Chaque volume de la collection « Discogonie » des éditions Densité s’attache à un album de musique, envisagé comme « le récit sonore du commencement d’un monde propre au groupe de musiciens qui l’a gravé ». Après Patti Smith. Horses paru en 2018, Véronique Bergen contribue pour la deuxième fois à la série, en creusant le (micro)sillon du Broken English de Marianne Faithfull.Icône du Swinging London, jeune chanteuse folk, interprète du tube As tears go by co-écrit pour elle par Mick Jagger et Keith Richards, passée dans les années 1970 à une musique plus sombre, interprète de plus de vingt albums depuis 1965, autrice et compositrice de plusieurs d’entre eux, actrice pour Jean-Luc Godard (Made in USA), Patrice Chéreau (Intimité), Sofia Coppola (Marie-Antoinette)…
Véronique BERGEN, Écume, ONLiT, 2023, 24,99 €, ISBN : 978-2-87560-159-9Chaque nouvel opus de Véronique Bergen révèle l’immensité d’un monde insoupçonné. Son nouveau roman, Écume, publié aux éditions ONLIT (qui avaient accueilli Tous doivent être sauvés ou aucun en 2018 et Icône H. en 2021), n’y déroge pas. Plongeant dans l’élément aquatique, Écume, au titre aussi tranché qu’évocateur, éclabousse les rivières du conformisme.S’ouvrant sur la formule « Détrompez-vous », le roman affole d’emblée nos boussoles et nos sextants. Il est taillé dans la syntaxe de la mer, épouse les vocables des êtres qui l’habitent. Écume secoue les vagues de l’Histoire, plonge dans les bas-fonds de la mémoire, puise dans la matière noire des « océanicides »…
Véronique BERGEN, Guido Crepax. L’axiome d’Eros, La Lettre volée, 2023, 140 p., 18 €, ISBN : 9782873176167Bien sûr, il y a son Emmanuelle – premier frisson, ces jambes pendantes, devant l’osier d’un fauteuil démentiel où elle trône en reine désabusée – et son Histoire d’O – deuxième frisson, cette silhouette nue et aveugle attirée en laisse par un laquais sordide vers quel vertige ? Deux sommets de ce que l’on hésite à qualifier de « bande dessinée érotique » et qui mérite mieux son appellation de Neuvième art. Mais Guido Crepax (1933-2003), c’est bien plus que Réage ou Arsan couchées, détaillées et encrées en noir et blanc dans des albums qui firent les délices interdites de plusieurs générations d’amateurs du genre, ou captivèrent…
Véronique BERGEN, Les danses de Roberto Succo, Maelström, coll. « Bookleg », 2023, 3 €, ISBN : 978-2-87505-480-7D’une densité dessillante, l’opus Les danses de Roberto Succo de Véronique Bergen est construit à l’image de la rêverie de sa narratrice. Celle-ci arpente les rues de Bruxelles, de même que nous, lecteurs, arpentons les phrases de Véronique Bergen serties dans l’émail de la langue.D’emblée, le récit emprunte une voix et des ruelles : la voix d’amorce, servie en italiques, annonce une forme de solitude, tandis que les rues amoncellent quantités de pas. Ainsi de tout l’opus, oscillant entre voix intérieure et échos extérieurs, l’un et l’autre s’interpénétrant, se transfigurant mutuellement jusqu’à se confondre et se brouiller…
Véronique BERGEN, Clandestine, Lamiroy, 2024, 25 €, ISBN : 978-2-87595-908-9Toujours à la croisée de la grande Histoire collective et de la micro-histoire individuelle, l’écriture de Véronique Bergen s’impose une nouvelle fois et exulte dans son nouveau roman, Clandestine. Ce livre est certainement l’un des plus puissants et des plus bouleversants de l’œuvre de la romancière et poète, en ce qu’il attaque toute pudibonderie – parce qu’ensauvagé, indomptable ; la langue faisant basculer l’horizon à l’exacte mesure de toute quête.Le mot « quête » est ici posé à dessein et Véronique Bergen lui octroie un supplément de sens dépassant la simple définition chronologique des événements : l’écrivaine fait se télescoper des strates de siècles dans…