L'autre regard. Chroniques du journal Le Soir

RÉSUMÉ

Préface de Michel GrodentÀ propos du livre

Helléniste de première force, traductrice et biographe des grands classiques, Marie Delcourt, éminent professeur à l’Université de Liège, était une chercheuse de haut niveau hantée par le souci de communiquer son savoir. C’est ainsi qu’excellente cuisinière, elle tint à publier un manuel culinaire à l’usage…

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Voici deux cents ans que Napoléon est né, trois cents que Rembrandt est mort. Un demi millénaire nous sépare de la naissance d'Erasme.

À vrai dire, l'on sait exactement qu'il est né à Rotterdam dans la nuit du 27 au 28 octobre, mais l'année n'est pas sûre. Il a fait à plusieurs reprises des allusions à son âge : il est impossible de les faire concorder. On a longtemps adopté 1446 comme la date la plus probable. On penche, à présent, pour 1469, ce qui donnerait à Erasme neuf ans de plus qu'à Thomas More, quatorze de plus qu'à Luther ; Rabelais serait son cadet d'environ vingt-cinq ans.

Il était un enfant naturel, ce qui moralement et matériellement, pesa sur toute sa vie. De ses parents, qui appartenaient tous les deux à la bourgeoisie, nous connaissons seulement les prénoms, Gérard, Marguerite. Cela se passait à une époque où les noms de famille n'avaient pas encore la même importance qu'à présent. Beaucoup de personnes n'étaient connues que par leur prénom joint à celui de leur père. Erasme lui-même, dans sa correspondance, emploie peu les noms de famille; il désigne les personnages importants par leur titre, les autres par un simple prénom. À partir de 1506, il signa invariablement Erasme de Rotterdam, se désignant ainsi du nom de sa ville natale, laquelle ne joua aucun rôle dans sa vie. Ce n'était, à cette époque, qu'un gros bourg du comté de Hollande, sans grande importance en comparaison de Dordrecht, Haarlem, Leyde, surtout Amsterdam, qui se développait rapidement.

Son prêtre fut prêtre. C'est pour cela, semble-t-il, qu'il n'avait pu épouser Marguerite, de qui il avait eu, avant Erasme, un autre fils, Pierre. Quand Erasme parle de son âge, c'est presque toujours pour se vieillir. Peut-être y a-t-il là un calcul : il plaçait ainsi sa naissance avant le moment où son père revêtit la prêtrise. Il faut dire que peu d'hommes avaient moins que lui le sens des dates : presque toutes celles qu'il donne, même celles qui ne le concernent pas, sont inexactes. Dès 1530, il se dit accablé par le fardeau de la vieillesse. Il met certainement une certaine coquetterie à parler de ses forces déclinantes alors que sans cesse paraissaient de lui ses écrits qui attestaient la constante et redoutable vigueur de son esprit. Sa santé, du reste, avait toujours été fragile et, lorsqu'il mourut, en 1536, ce fut après une longue période de souffrances ; son travail, qu'il n'interrompit jamais – deux écrits de lui furent imprimés dans cette dernière année – lui était un supplice. Sa belle main déformée par de douloureux rhumatismes pouvait à peine tenir la plume. Le seul remède qui le soulageât (peut-être un peu trop souvent) était le vin de Bourgogne. Sa mère était fille de médecin. Gérard était un homme instruit, qui copia quantité de manuscrits. Il mourut trop jeune pour voir des imprimeries s'installer dans bien des villes des Pays-Bas et les presses enlever beaucoup de son importance au métier de copiste. Peu d'hommes de ce temps devaient donner aux typographes autant d'ouvrages qu'Erasme. On aimerait savoir ce qu'il éprouva lorsqu'il vit et tint dans ses mains, pour la première fois, un livre imprimé.

Avec son frère, il apprit le rudiment à l'école de Gouda, puis à Deventer, où il entendit une leçon du grand humaniste Rodolphe Agricola, qui lui fit grande impression. Quel âge avait-il à cette époque ? Entre quatorze et dix-sept ans ? Marguerite mourut en 1483, Gérard peu après. Les orphelins furent confiés à des parents qui les spolièrent et leur enlevèrent notamment, semble-t-il, le bénéfice des manuscrits copiés par Gérard. C'est du moins ce qu'Erasme dit plus tard, romançant peut-être le mauvais souvenir que lui avait laissé sa triste jeunesse. Et la méfiance n'était pas son moindre défaut. Les tuteurs mirent tout en œuvre pour pousser leurs pupilles au cloître.

(Extrait de Naissance d'Erasme, 28 octobre 1969.)

Table des matières

Préface, par Michel Grodent

La Littérature et les problèmes de la vie
Belgique 1538 ou le printemps sans été
Le Roman et la réalité quotidienne
Bachofen et le matriarcat
Les chars de Ben Hur
Le moteur vivant
Tot tûsant
Des égards pour les maîtres
Bâtir en hommes
L'homme et son nom
Le trésor de Didon
Mère Europe
Sept cent soixante-huit phrases par heure
Communauté artificielle ?
« Vieillissement »
Le grenier de l'intelligence
Découvrir l'enfant
Aimer ses enfants
Les sentiments familiaux
Langue écrite et patois
Réduction d'horaires
Croire au progrès
L'homme dans la foule
La loi éducatrice
Les travaux et les jours
Bâtiments
Le livre et nous
Utopie et réalité
Grands-mères 1964
Avec les mains
Langues composites, littératures marginales
L'art de la dédicace
Un reçu signé Erasme
Erasme professeur
Éducation d'autrefois
Le tourisme contre le tourisme
Naissance du livre
L'eau et nous
Vaches sacrées
« La belle main »
Atlas et Mercator
Un trésor est caché dedans
La perruque du roi
La ponctualité
Le livre de poche a cent ans
Animaux abandonnés
Art sans frontières
Jean Schlumberger : un Européen
Prénoms
De Barbicane à Borman
Itinéraires du journal
Revues féminines
Naissance d'Erasme
Éducation d'autrefois
Avant Boduognat
À PROPOS DE L'AUTEUR
Marie Delcourt

Auteur de L'autre regard. Chroniques du journal Le Soir

Marie Delcourt est née à Ixelles en 1891. Elle a passé son enfance à Arlon. Cette époque ne lui laissait guère de souvenirs heureux : l'école des sœurs, les bancs de l'église, l'impossibilité d'entrer à l'école normale parce que la poliomyélite l'avait rendue infirme. Mais elle a l'âme et le corps robustes, elle marche vite, elle apprend à nager avec les bras, comme les anciens Grecs. Elle prépare l'examen du jury central qui lui ouvrira l'Université, car en ce temps les jeunes filles n'étaient pas admises aux humanités. Personnage combattant, elle impressionne... La guerre interrompt des études qu'elle terminera en 1919. Docteur en philosophie et lettres, elle suit à Paris les cours de la Sorbonne et de l'École Pratique des Hautes Études. De retour à Liège, elle enseigne à l'Institut Supérieur de Demoiselles de la Ville, qui deviendra Lycée Léonie de Waha. En 1925, son premier livre est couronné par l'Académie Royale de Belgique. L'intérêt qu'elle y témoigne pour la traduction marquera toute son oeuvre. En 1929 est créé pour elle à l'Université un cours d'histoire de l'humanisme, car ses premiers travaux sont consacrés au rôle des œuvres de l'Antiquité dans la culture française. Elle se lie d'amitié avec Mr et Mme Mayrisch, mécènes luxembourgeois, chez qui elle rencontre quelques personnalités du monde des lettres. Mais c'est à l'Université de Liège, où sa charge augmente, qu'elle fait la connaissance d'Alexis Curvers, alors étudiant. Dans cette vie menée avec autorité et tout entière consacrée à la recherche, un grand amour naît qui ne s'éteindra jamais. En 1932, elle épouse un futur grand romancier qui n'est encore qu'un jeune poète peu conventionnel. «Le mariage, disait-elle, en parodiant Giraudoux, est une lutte permanente pour conserver son sang-froid.» En 1938 avait commencé la série des grands livres consacrés à la mythologie grecque. On reste confondu devant la diversité de cette oeuvre immense où, entre les lignes de force de l'humanisme, du théâtre, de la mythologie et de la traduction, se faufilent mille travaux éclairés par l'intelligence. En 1940, elle est nommée professeur ordinaire et quitte le Lycée. La formation didactique de ses étudiantes l'y ramène chaque année chez ses anciennes élèves, devenues professeurs. Émérite en 1961, elle travaille intensément à la traduction des lettres d'Érasme. Puis vient le temps des renoncements. Elle regarde une dernière fois l'arbre qu'elle a planté à Colpach au château Mayrisch. «Je ne reviendrai plus ici». La voix est sereine. Elle abandonne l'étude du sanskrit pour sauver sa vue. Elle ne sort plus, mais ses lettres poursuivent le dialogue amical. Sa dernière lecture sera Montaigne, qu'elle peut prendre et laisser. Elle ne quittera plus sa chambre. Son mari, aidé de quelques amies, la soignera jusqu'au bout. Elle meurt le 11 février 1979. Son dernier souci : la fatigue d'Alexis.

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