De Rimbaud à Duras, de Simenon à Bourdouxhe, de Steeman à Aymé, rares sont les écrivains qui n’ont pas entretenu un lien – étroit ou non – avec le cinéma. Entre adaptations, réécritures et translations, les relations de la littérature avec le septième art prennent des formes innombrables et variées. Elles ont donné lieu à des chefs-d’œuvre et à des échecs, démontrant parfois que le « passage sur un autre plan » provoque inévitablement « du gagné et du perdu », comme le signale François Emmanuel. « La littérature et le cinéma forment un couple, pour le meilleur… et parfois pour le pire » rappelle Yves Namur en guise de préambule au colloque sur la littérature et le cinéma qui s’est tenu…
Publié à l'occasion du salon "La Force de la Peinture" (24/09-02/10/2016), l'ouvrage se divise en deux parties. Dans un travail d'histoire de l'art, Athénaïs RZ justifie d'abord son affirmation selon laquelle, au XXIe siècle, "un tableau possède toujours une force inégalable". "Le pouvoir quasi magique d'une toile, ajoute-t-elle, tient de son unicité, de sa fixité et de sa matérialité". L'auteure réqctive le paragone, recherche une définition contemporaine de la peinture et s'interroge sur l'impact du tout-image écranique. Pour rendre compte de l'ensemble de la production actuelle, elle dépoussière les genres picturaux anciens. Ainsi, par exemple, le memento mori devient une peinture d'histoire, l'autoportrait une peinture de genre et une toile abstraite un paysage. Ensuite, recourant à la forme littéraire de la critique d'art, Athénaïs Rz présente les seize artistes du salon : LiFang, Hervé Ic, Barbara Navi, Lise Stoufflet, Lyzane Potvin, Manuel Léonardi, Jean-Luc Curabet, Nathalie Deshairs, Jean-Luc Blanchet, Mathieu Boisadan, Anne-Claire Schmit, Cristine…
Maurice Maeterlinck, un auteur dans le cinéma des années dix et vingt
Christian Janssens étudie de manière fouillée l’adaptation filmique des œuvres de Maeterlinck entre 1910 et 1929. Fortement arc-bouté sur le système conceptuel de Pierre Bourdieu, cet ouvrage savant envisage l’écrivain non comme un « créateur » plus ou moins doué, mais comme un agent de production en relation avec d’autres agents : critiques littéraires, directeurs de théâtre, cinéastes, musiciens, etc. Chacune de ses œuvres, à son tour, entre en relation avec d’autres œuvres, tant de lui-même que d’adaptateurs ou d’écrivains tiers. « Ces rapports sont des rapports de concurrence, de compétition » affirme clairement C. Janssens, pour qui la position objective de l’écrivain dans le champ culturel s’explique non par l’influence du milieu ou le génie créateur, mais par les rapports de force entre les différents agents concernés. Ainsi conçue, l’approche sociologique ne pouvait que comporter une dimension historienne, car les rapports de force précités évoluent constamment, mais aussi une forte composante économique : diffusion primaire des textes, rôle de la presse et de la notoriété, apparition de produits dérivés (mises en scène, traductions, partitions musicales, adaptations filmiques), puissance des « centres » internationaux (maisons d’édition, compagnies cinématographiques), phénomènes de mode, etc. Plutôt que de dresser un tableau général de ce système, même circonscrit à une littérature et à une période précises, C. Janssens a choisi d’étudier un cas particulier, celui de Maurice Maeterlinck et du réseau relationnel qui s’est constitué autour de lui. En tant qu’écrivain adapté au cinéma, il évolue en effet entre le champ littéraire – où il occupe une position dominante – et le champ cinématographique – où il occupe une position dominée ; cette dissymétrie fait mieux ressortir le fonctionnement respectif des deux champs, leurs similitudes et leurs divergences. En tant que dramaturge, Maeterlinck ressortit, de 1889 ( La Princesse Maleine ) à 1902 ( Monna Vanna ), à la « sphère de production restreinte », valorisée symboliquement par la reconnaissance des pairs. Fasquelle devenu son éditeur principal, il entre alors dans la « zone de grande production de qualité » caractérisée par une large diffusion, où il s’installe durablement à partir de L’oiseau bleu (1908). Le filmage de pièces ne commence qu’en 1910 : la multiplication des adaptations « est une conséquence et une cause du vieillissement artistique [de Maeterlinck] dans le champ littéraire ». Le passage de la sphère « restreinte » vers la sphère « publique » observé dans le champ littéraire va néanmoins se reproduire dans le champ cinématographique.Le corpus considéré, de 1910 à 1929, comporte vingt-quatre projets de films, dont dix ont été réalisés, mais dont trois seulement sont aujourd’hui conservés. Si les débuts sont timides, les films entrepris de 1914 à 1918 ne manquent pas d’ambition : Monna Vanna , Pelléas et Mélisande , Macbeth , The Blue Bird . À chaque fois, C. Janssens décortique avec minutie les stratégies des différents agents – dont la très active Georgette Leblanc –, éclairant les intérêts souvent hétérogènes des uns et des autres. Après 1918, la notoriété littéraire de Maeterlinck décline, tandis qu’il s’investit de plus en plus dans le cinéma, notamment l’écriture de scénarios ( La Puissance des morts , Le Malheur passe , etc.), tout en s’éloignant des « centres » italien et français au profit des compagnies américaines telles que la Goldwyn Pictures. Mais le succès ne suit pas et, à partir de 1925, Maeterlinck se réoriente vers l’écriture d’essais, tels que La vie de l’espace : le seul projet de film qu’il agrée est Le Bourgmestre de Stilmonde , qui sortira en 1929. C’est l’année où prend son essor le cinéma parlant, tandis que les adaptations d’œuvres littéraires ne cessent de régresser.Version allégée d’une thèse de doctorat présentée à l’U.L.B. en 2012, le livre de C. Janssens est d’une rigueur incontestable, accordant une place importante aux questions de méthodologie et à la précision documentaire. Loin de toute considération psychologique ou exégétique, il s’appuie exclusivement sur des faits avérés en prenant pour balises des concepts de Bourdieu ou inspirés par lui, dont il démontre par le fait même la pertinence analytique. Malgré ses grandes qualités, une question demeure : quelle est l’utilité exacte de cette publication ? Le lecteur informé n’apprend pas grand-chose de nouveau sur Maeterlinck, qui n’est ici qu’un cas d’école, et l’examen de sa carrière entre littérature et cinéma n’est guère généralisable. Détail révélateur : les nombreuses citations en anglais ne sont pas traduites (mais celles en italien le sont)… Bref, il est à craindre que cet ouvrage reste confiné…